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Chasuble réversible

Objet IRPA 86087

Provenance inconnue

Institution : Lierre, église Saint-Gommaire

Datation : 1701 - 1710

Chasuble réversible, ensemble, avant. © IRPA, Bruxelles, cliché X0786544
Chasuble réversible, ensemble, dos. © IRPA, Bruxelles, cliché X0786543

Cette chasuble bicolore brodée de fleurs naturalistes sur fond de moire présente la particularité d’être réversible. Les mêmes orfrois sont brodés sur les deux faces de la chasuble, qui peut ainsi être utilisée dans deux temps liturgiques distincts, en présentant une face verte pour les temps ordinaires, et une face violette pour les temps de pénitence.

Les ornements brodés

Chasuble réversible, détail. © IRPA, Bruxelles, cliché X0786542

La chasuble est brodée de deux types d’ornements bien différents : un ensemble de bordures stylisées dorées qui, à la manière de galons, encadrent la chasuble et délimitent le périmètre des orfrois, brodés à même le fond de la chasuble, et les fleurs naturalistes et colorées des orfrois proprement dits. La frise qui borde la chasuble a une largeur de quelques centimètres et est réalisée au fil d’or en guipure. Elle est composée d’une alternance régulière de motifs fleuronnés dont les lobes diversement orientés s’ouvrent sur une fleurette, à chaque fois différente. Un très fin ruban de guipure autour duquel s’enroule les lobes des fleurons délimite le bord extérieur de la chasuble.

Les orfrois sont délimités eux aussi par une frise de fleurons, identiques à la frise du bord mais disposés ici tête-bêche. La fleurette sommitale de chaque fleuron ou palmette compte cinq pétales et du centre jaillissent deux étamines. Un fin ruban de guipure autour duquel s’enroulent les fins rinceaux végétaux marquent nettement la limite des orfrois en simulant les bords d’un galon.

La colonne de l’orfoi comporte cinq compartiments séparés par un même motif de fleurons dont les livres d’ornements du XVIIe siècle fournissent maints exemples (1). Les cinq registres de la colonne présentent des bouquets floraux brodés en soies colorées et très naturalistes. Sur l’arrière de la chasuble, la croix à redents comporte un registre supplémentaire. L’intersection de la traverse de la croix est ornée d’un bouquet floral dont la fleur principale est une tulipe rose largement ouverte, qui présente le pistil et les carpelles, accompagnée d’un œillet et d’une anémone. Tous les bouquets sont différents et comptent trois ou quatre fleurs. Une fleur ressort par sa taille et donc sa couleur. On y observe des roses, des œillets, des fleurs d’églantiers, des pivoines, des anémones, des narcisses, et surtout des tulipes, orientées vers le haut dans les compartiments inférieurs. Celles de la traverse, à dominante rose, fusent dans toutes les directions. Les fleurs sont très présentes à cette époque sur les textiles religieux. Louis de Farcy les condamne vivement car « on abusait des fleurs et des parterres fleuris […] qui perdaient tout caractère religieux » (2). Les fleurs ne sont pourtant pas choisies au hasard. La création des jardins botaniques à Paris et en province permet d’admirer des fleurs exotiques importées du Nouveau Monde. Des recueils illustrés de fleurs, les Florilèges, connaissent aussi un grand succès. Les fleurs sont très à la mode dans le décor des intérieurs et l’ameublement au XVIIe siècle mais aussi dans la création des tissus destinés à l’habillement. Outre cette influence de la mode, la présence de fleurs exotiques peut avoir été une marque de luxe et de richesse.

La tulipe est la fleur centrale, toujours au sommet de sa maturité. Dans la traverse de la croix, les pétales largement ouverts et prêts à tomber montrent le cœur de la fleur qui s’apprête à mourir pour donner la vie.

Danièle Véron-Denise rappelle que les fleurs ont toujours eu une signification symbolique dans la doctrine chrétienne. De plus les couleurs sont associées à des concepts : le blanc, la pureté ; le rouge, la passion, le martyre, le sang ; le bleu du ciel ou marial, etc. Et les odeurs florales évoquent « l’odeur de sainteté » ou « le parfum des vertus ». Selon cette historienne de l’art, les fleurs sur les ornements religieux sont davantage des œuvres réalisées dans des couvents plutôt que celle des brodeurs laïcs (3).

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(1) Nicolas Langlois (éd.), Dessins de divers ornemens et moulures antiques et modernes, Paris, 1660. Téléchargeable sur Gallica. (pour n’en citer qu’un).
(2) Louis de Farcy, La broderie du XIe siècle jusqu’à nos jours d’après des spécimens authentiques, Angers, Belhomme, 1890, p. 43.
(3) Danièle Véron-Denise, « La place et le rôle de la fleur dans la broderie du XVIe siècle », dans Emmanuel Coquery (dir.), Rinceaux et figures. L’ornement en France au XVIIe siècle, Actes de colloque, Paris, Musée du Louvre, 21-22 juin 2002, Paris, Musée du Louvre Éditions / Monelle Hayt, 2005, p. 101-111.

Une technique particulière pour les broderies double-face : le « passé à deux endroits »

Les deux fonds de couleur sont faits de moire, un support fréquent pour les textiles religieux qui présente la particularité d’avoir un reflet changeant et ondé. Ce procédé est obtenu par un calandrage sur des tissus secs et grenus, tels des taffetas ou Gros de Tours : il faut des côtes pour que leur écrasement favorise les reflets (4). Les broderies, identiques sur les deux faces, sont aussi appelées au « passé à deux endroits » parce que le brodeur passe le fil métallique ou le fil de soie des deux côtés et exécute le même travail, avec le même degré de finition. La technique est très délicate et d’exécution plus compliquée. Il n’y a pas d’envers et les deux faces doivent être traitées avec le même soin. Le brodeur y consacre davantage de temps.

Germain de Saint-Aubain, dans son Art du Brodeur, décrit la broderie en passé réalisée par les brodeurs pour « les ornements d’Église à deux endroits » (5). Il explique qu’on « brode ensemble une moire cramoisie & une moire blanche ou verte, en les appliquant l’une sur l’autre, cela donne deux chapes ou chasubles, avec les frais d’une seule broderie ». Il fournit une description précise de la manière de faire. Mais il précise que ce sont d’adroits ouvriers qui exécutent ce travail.

Le point utilisé est le passé empiétant, qui permet des dégradés de couleur adaptés aux motifs floraux.

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(4) Christine Aribaud, Soieries en Sacristies. Fastes liturgiques. XVIIe – XVIIIe siècles, Catalogue d’exposition, Toulouse, Musée Paul-Dupuy, 26 octobre 1998- 31 janvier 1999, Paris Somogy, 1998, p.97-101.
(5) Germain de Saint-Aubain, L’art du Brodeur, Paris, Saillant & Nyon/Desaint, 1761, p. 14.

Des ornements particuliers : les réversibles

La technique est héritée de celle utilisée pour les oriflammes drapeaux et fanions dont les deux faces devaient être visibles (6).

On retrouve ce type d’ornements dans les inventaires de sacristies dès le Moyen Âge. Ils permettent de faire l’économie d’un ornement puisque la même chasuble peut servir dans ce cas-ci pour les temps ordinaire, et les temps de pénitence. Ces deux couleurs sont les plus fréquentes. On trouve aussi des chasubles réversibles rouges et blanches, avec broderies aux fils métalliques dorés. L’Église recommande ces ornements par mesure d’économie. En 1849, ils sont même imposés avec le plan d’austérité préconisant l’usage de trois chasubles pour les cinq temps liturgiques (7).

Ce serait donc par mesure d’économie que la chasuble (ou la chape, comme le note Germain de Saint-Aubain en 1761) serait recommandée. Il faut cependant noter que l’économie ne soit pas être très importante. Deux endroits en soie sont cousus l’un sur l’autre. On épargne la doublure, mais les fils brodés au passé doivent recouvrir toute la surface de la broderie des deux côtés, ce qui n’était pas le cas dans les broderies d’or des ornements à une face. De plus, la technique particulière exige une attention soutenue des brodeurs, des compétences plus pointues et certainement davantage de temps. Ce qu’on gagne d’un côté, on le dépense sans doute de l’autre. De plus, la chasuble est la pièce de l’ornement qui s’use le plus vite. Il faut donc qu’elle soit très solide.

L’avantage de ces chasubles et chapes réversibles et sans doute aussi à chercher du côté pratique. Les évêques qui font les visites pastorales dans les paroisses parcourent leur diocèse et passent parfois plusieurs jours hors de leur cathédrale. Ils doivent dire la Messe et les ornements qu’ils trouvent sur place ne sont pas toujours « décents ». Ils emportent donc dans leurs malles ce type de chasuble, qui allège leur bagage. Il ne faudrait peut-être pas non plus négliger l’aspect pratique de ce genre de pièce.

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(6) Christine Aribaud, François Janvier et Marie Lecasseur, De soie et d’or. Textiles sacrés en Meuse. XVIIe – XIXe siècles, catalogue d’exposition, Saint-Mihiel, Musée d’Art sacré, 26 juin – 1 novembre 2004, Bar-le-Duc, Conseil Général de la Meuse, 2004, p. 62-63.
(7) Christine Aribaud, Soieries en Sacristies, op. cit., p. 136-137.

Ornements associés

La cathédrale Saint-Aubain à Namur conserve deux chasubles réversibles, l’une est verte et mauve, l’autre blanche et rouge. Les orfrois sont brodés de fils d’or. La décoration est beaucoup plus simple que celle de Lierre. À Tournai est conservée une chape rouge et blanche, dite de Mgr Hirn, premier évêque concordataire de l’évêché de Tournai. De 1802 à 1819, il s’attache à remettre la Cathédrale Notre-Dame en état et rachète de nombreux ornements. Celle-ci est entièrement ornée de motifs décoratifs brodés au fil d’or et parfaitement identiques sur les deux faces. La profusion et le type des motifs décoratifs – chutes d’ornements végétaux et floraux, rinceaux, bouquets de fleurs, cornes d’abondances – et les quadrillages pointés sur les orfrois orientent la datation de la pièce vers la fin du XVIIe ou le début du XVIIIe siècle.

Chape de Monseigneur Hirn, ensemble, face rouge. Tournai, Trésor de la Cathédrale. Photo Mireille Gilbert
Chape de Monseigneur Hirn, ensemble, face blanche. Tournai, Trésor de la Cathédrale. Photo Mireille Gilbert

Les sacristies et dépôts de textiles religieux contiennent encore certainement bien d’autres ornements de ce type chez nous. En France, Josiane Pagnon a établi un recensement et fourni une étude poussée de ces pièces souvent magnifiques, dont les références se trouvent en bibliographie.

Bibliographie

  • Christine Aribaud, Soieries en Sacristies. Fastes liturgiques. XVIIe – XVIIIe siècles, Catalogue d’exposition, Toulouse, Musée Paul-Dupuy, 26 octobre 1998- 31 janvier 1999, Paris Somogy, 1998, p. 97-101, 103.
  • Christine Aribaud, François JANVIER et Marie Lecasseur, De soie et d’or. Textiles sacrés en Meuse. XVIIe – XIXe siècles, catalogue d’exposition, Saint-Mihiel, Musée d’Art sacré, 26 juin – 1 novembre 2004, Bar-le-Duc, Conseil Général de la Meuse, 2004.
  • Louis De Farcy, , La broderie du XIe siècle jusqu’à nos jours d’après des spécimens authentiques et les anciens inventaires, Angers, Belhomme, 1890.
  • Charles-Germain de Saint-Aubain, L’art du Brodeur, Paris, Saillant & Nyon/Desaint, 1761.
  • Josiane Pagnon, « Les ornements liturgiques réversibles : premières approches d’un bilan » dans Patrimoines du Sud, Conseil Régional d’Occitanie, 2015. [1], le 31 mars 2020.


Œuvre sous la loupe de Mireille Gilbert