Chape de l'ornement Steenhuyse à Tournai

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Série de cinq chapes de l’ornement « Steenhuyse »

Objet IRPA : 10061824

Provenance : Chapitre cathédral de Tournai

Institution : Cathédrale Notre-Dame de Tournai

Dimensions : 285 X 140 cm

Datation : 1612-1633


Ces cinq chapes du premier tiers du XVIIe siècle en velours noir et ornées d’orfrois brodé en or, font partie d’un ensemble comprenant aussi une chasuble (objet IRPA 10061825) et les dalmatiques (objet IRPA 10061826). Les médaillons des chaperons présentent un intérêt particulier car ils sont brodés de scènes de résurrections inspirées de dessins de Rubens ou d’autres peintres célèbres contemporains. En outre, les armes de la famille du donateur, le chanoine Steenhuyse du chapitre cathédral de Tournai figurent sur chacune des huit pièces qui composent l’ensemble.

Figure 1: Tournai, Trésor de la cathédrale Notre-Dame. Ornement dit du chanoine Steenhuyse. Chape 1, chaperon. 1612-1633. Photo. M. Gilbert

Sur une robe en velours noir, les orfrois et le chaperon en soie blanche, brodés de larges motifs en haut-relief dorés présentent dans des médaillons des scènes de résurrection. Les orfrois sont brodés de rinceaux d’acanthe opposés symétriquement dans une composition appelée en candélabre, dont les éléments superposés s’organisent le long d’un axe de symétrie entre une base et un élément sommital. Ici, deux rinceaux d’acanthes affrontés forment des « niches » meublées de fleurettes ou fruits en relief, disposés en alternance, une fois au centre, une fois à l’extérieur des rinceaux. Les différents motifs sont délicatement réunis pas des vrilles brodées au fil d’or . Le centre du chaperon est occupé par un cartouche présentant une scène de résurrection dans un médaillon. Les enroulements en feuilles d’acanthes entourent le cadre en haut-relief, fait d’un galon billeté en fil d’or et décoré d’un croisillon brodé aussi au fil d’or. Une palmette d’acanthe inversée décore la partie supérieure et de chaque côté, le croisillon est interrompu par une fleurette guipée quadrilobée. La base du chaperon montre les armoiries du donateur, le chanoine Steenhuyse. .

Un ornement de deuil

La robe de velours noir est la couleur du deuil, utilisé pour les enterrements ou les temps de pénitence, comme le violet. Selon Soil de Moriamé , « autrefois des têtes de mort, en soie brodée, couleur nature, figuraient parmi les rinceaux, sur les bandes de satin blanc. On les a enlevées il y a quelque trente ans , et remplacées par de minces rinceaux en fils d’or, qui ont détruit tout le caractère de l’ornement ». L’ornement avait été restauré en 1895, les broderies dau fil d’or ont été transférées sur un nouveau fond de soie blanche mais, à cette occasion, on n’a pas transféré les motifs sur le nouveau satin blanc, soit parce que l’opération a été jugée trop difficile ou coûteuse, soit parce que cela ne plaisait plus. En effet, en général, les ornements noirs de deuil sont le plus souvent décorés de symboles évoquant la mort, des crânes ou des ossements, le sablier, la faux ou les Arma Christi, armes, outils, qui ont servi lors de la passion du Christ, les clous, la croix, la colonne, le fouet ou la couronne d’épine, par exemple..

Figure 2: Florennes, église Saint-Gengulphe. .Chape de la Confrérie des Trépassés. Détail du chaperon. En dépôt au Musée diocésain et Trésor de la cathédrale Saint-Aubain. Pas de référence IRPA.. Photo M. Gilbert

Un thème eucharistique : la Résurrection Le thème de l’Eucharistie et la transsubstantiation sont fortement (re)mis en avant par le Concile de Trente. Les textiles religieux, par leur iconographie, remettent aussi l’Eucharistie au centre des représentations. Ces cinq chapes montrent des scènes de résurrections. La plus importante est celle du Christ (cliché A019459). La représentation est réalisée d’après une gravure de Schelte Adams à Bolswert, graveur néerlandais connu pour ses représentations d’œuvres de Rubens, Van Dijck et d’autres maîtres flamands, actif durant la première moitié du XVIIe siècle, jusqu’en 1659.

Figure 3: Schelte à Bolswert, La résurrection du Christ. Gravure, 420 X 300 mm. Après 1612.Anvers, Rubenshuis, inv. P 46 Adresse : P. Paulus Rubbens pinxit/ S. à Bolswert fecit// Martinus Vanden Eynden excud./ Antwerpiae cum Privilegio Regis. Source : Iris KOCKELBERGH, « Schelte à Bolswert naar Peter-Paul Rubens. Verrijzenis van Christus », dans Guy Delmarcel, Nora De Poorter, Paul Huvenne et al., Rubenstextiel. Rubens’s Textiles, catalogue d’exposition, Anvers, Hessenhuis, du 28 juin au 5 octobre 1997, Anvers, Stad Antwerpen, 1997, p. 219
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La gravure de Bolswert reproduit le panneau central d’un triptyque exécuté par Rubens entre 1610 et 1612, commandé pour le monument funéraire Jean I Moretus et son épouse Martine Plantin, toujours conservé dans la cathédrale d’Anvers (objet IRPA 87391). Rubens a beaucoup travaillé pour ces imprimeurs anversois, pour lesquels il a réalisé des illustrations de livres dont le Missale romanum. Rubens peint le moment précis où le Christ sort de son tombeau, qui n’est pas raconté par les évangélistes mais qui a pourtant été peint par plusieurs peintres. C’est un Christ triomphant qui sort du tombeau, un drapeau à la main, dans une nuée d’or et d’argent qui semble l’aspirer. Il est auréolé et vêtu d’une cape or et rouge. Les soldats qui montent la garde présentent tous les signes successifs de la surprise : l’un est encore endormi, un autre se lève en reculant et les deux derniers fuient en regardant vers l’arrière le prodige en train de se réaliser. La gravure inverse la composition originale du tableau. La série comporte une autre résurrection du Christ. On voit le Christ qui soulève la pierre et sort de la tombe, la tête encore couverte du linceul. Les soldats fuient en courant. Ce n’est cependant pas un tableau de sa main qui sert de modèle, même si son influence est évidente, dans les mouvements des soldats qui fuient, par exemple. Une autre chape dont le chaperon présente la résurrection de Lazare est peinte d’après une gravure de Boëtius à Bolswert, un autre graveur néerlandais contemporain de Rubens (cliché A019460). Le tableau qui lui a servi de modèle a été réalisé par Rubens vers 1620 mais il a disparu dans les flammes à Berlin en 1945 ̶ Kaizer Friedrich Museum. Le sujet est inspiré de l’Évangile selon saint Jean, chapitre XI. Le verset 43 narre le moment où Jésus ordonne à Lazare, décédé depuis quatre jours, de sortir de son tombeau : Lazare veni foras. C’est ce moment précis que Rubens choisit de montrer.


Figure 4: Boëtius à Bolswert d'après P.P. Rubens, Lazare, veni foras. Gravure, 672 X 512 mm. Ca 1620. Anvers, Rubenshuis, inv. P. 120. Source : Paul HUVENNE, «  Boëtius à Bolswert naar Peter Paul Rubens. De opwekking van Lazarus, dans Guy Delmarcel, Nora De Poorter, Paul Huvenne et al., Rubenstextiel. Rubens’s Textiles, catalogue d’exposition, Anvers, Hessenhuis, du 28 juin au 5 octobre 1997, Anvers, Stad Antwerpen, 1997, p. 215
Figure 5 : Tournai. Trésor de la cathédrale Notre-Dame. Ornement dit du chanoine Steenhuyse. Chape 2. Chaperon. Photo M. Gilbert

Les sujets des trois autres chapes sont aussi des résurrections. La résurrection du fils de la veuve de Naïm est tiré de l’Évangile selon Saint Luc (7 ; 11-17) (cliché A019462).

Figure 6: Federico Zuccari et Jacob Matham, Jésus-Christ ressuscitant le fils unique de la veuve de Naïm. Eau-forte, 505 X 295mm. Bibliothèque municipale de Lyon (N16MAT009444)

La résurrection de la fille de Jaïre, grand prêtre de la synagogue (cliché A019463) est relatée par trois évangélistes : Marc 5;21-43, Matthieu 9 ; 18-26 et Luc 8 ; 40-56.

Figure 7: Muziano Giovanni Girolamo et Nicolas Beatrizet, Le Christ ressuscitant la fille de Jaïre, estampe, XVIe siècle. Bibliothèque municipale de Lyon (F16BEA000010)

Ces gravures montrent que les brodeurs utilisaient les modèles de peintres célèbres qu’ils transposaient en broderie. Ces modèles voyageaient certainement entre les ateliers, comme pour les peintures.

Des artisans très habiles

Le nom des brodeurs nous est inconnu mais il est certain qu’ils avaient la pleine maîtrise de leur art. Les matériaux sont précieux : fils d’or et fils de soie colorés. Se détachant sur un paysage exécuté au point d’orient, le Christ et les femmes ̶ Marthe et Marie ̶ resplendissent dans leurs tenues en couchure d’or. Les formes des robes sont marquées par des lancés de soie de couleur. Les chairs, les visages et les mains, exécutés au passé empiétant, sont un exemple de ce qu’on appelle la peinture à l’aiguille, broderie très délicate et d’une finesse extrême. Le tableau qui représente la résurrection du christ est particulièrement soigné. Le Christ nu, voilé d’un morceau de sa cape, est réalisé au passé empiétant. Les traits du visage sont délicatement marqués, la chevelure, la barbe. Tous les personnages sont brodés avec le même soin, la chevelure du garde qui se lève, au premier plan est particulièrement réaliste. Cette technique permet à des brodeurs habiles d’utiliser toutes les gammes de couleurs de la soie et d’en jouer comme on utilise les glacis en peinture, par petites touches transparentes successives pour passer d’une teinte à l’autre avec beaucoup de subtilité. C’est surtout le corps du Christ triomphant que la technique met en évidence. Les jeux d’ombres et de lumière mettent en relief les saillies de la musculature, rendus avec un grand réalisme et on comprend pourquoi cette technique est appelée peinture à l’aiguille. Le travail de la broderie en couchure d’or ou de l’or nué sont très différents de la technique de la peinture à l’aiguille. Les archives montrent que pour les pièces exécutées pour l’abbaye d’Averbode, quasiment un siècle plus tôt, les brodeurs pouvaient faire exécuter les chairs par d’autres brodeurs, mais à leurs frais. Aucune source ne mentionne l’atelier qui a produit ces chaperons historiés, mais les artisans étaient des experts.

Pièces à mettre en relation

La cathédrale Notre-Dame à Anvers conserve une chasuble dont le centre de la croix est orné d’un médaillon réalisé d’après le même carton de Rubens (objet IRPA 11031500). Le motif a cependant été adapté. Il faut souligner que l’achat est plus tardif : les orfrois de la chasuble sont achetés le 6 mai 1721 . Sur un fond de damas de soie orange broché à grands motifs dits bizarres du début du XVIIIe siècle, des broderies en haut relief sont rapportées sur un fond en couchure d’argent. Une double lanière d’acanthes affrontée et entrelacée symétriquement compose des registres présentant des gerbes de blé, des vases chargés de fruits et des fleurons, entourés de pampres. Le cadre du médaillon, en très haut relief et cannelé, est orné du tétramorphe, symbole des quatre évangélistes : la tête évoque Matthieu, le bœuf Luc, le lion Marc et l’aigle Jean. Le Christ au centre du médaillon est inspiré du même panneau central du triptyque Moretus conservé dans la cathédrale d’Anvers. Il surgit de son tombeau, dans son linceul rouge vif bouillonnant et flottant au vent, portant son drapeau dans la main droite et une palme dans la main gauche. Il est entouré d’une gloire en fils d’or qui occupe toute la partie haute du médaillon. En bas, les gardes surpris dans leur sommeil manifestent toutes les expressions de la surprise et de la crainte. La chasuble qui fait partie de l’ensemble du chanoine Steenhuyse (10061825) est ornée en son centre de la croix d’une crucifixion brodée dans un médaillon qui n’a pas les mêmes qualités plastiques que les chapes. L’œuvre de Rubens a inspiré d’autres scènes de la vie du Christ, de Marie ou des portraits de saints. L’Annonciation en or nué qui se trouve au dos d’une chasuble conservée à Lierre en l’église Saint-Gommaire est inspirée d’une des nombreuses Annonciations de Rubens qui se trouve actuellement exposée à Vienne au Historische Museum. Le baptême du Christ d’après une œuvre de Rubens, présenté au dos du triptyque de l’Adoration des bergers à Malines en l’église Saint-Jean a servi de modèle aux brodeurs de plusieurs chasubles, dont l’une est conservée à Malines (22175). On retrouve très souvent des gravures qui ont servi de modèles.

Un donateur prestigieux

L’ornement est un don du chanoine Steenhuise, du chapitre cathédral de Tournai, Les chapiers conservent encore de nombreux ensembles offerts par les représentants d’illustres familles et destinés à donner davantage d’éclat au Service divin. Les donateurs y faisaient souvent broder leurs armoiries, avec plus ou moins de discrétion. Dans ce cas-ci les armes de la famille Steenhuise d’argent au chevron de gueules, accompagné d’un anneau de même, en pointe, brodées en soie et argent, occupent une place de choix sur chacune des pièces de l’ornement : au bas des chaperons, sous le médaillon historié des chapes, sous me médaillon di croison de la chasuble, au pied du calvaire, et sur les plages du dos des dalmatiques. Le dos de la chasuble et des dalmatiques étaient les faces que les fidèles voyaient le plus souvent puisque le prêtre disait la Messe dos au public. Ces ornements brodés constituaient un don de grand prix pour le donateur et sa famille, qui pouvaient par la présence de leurs armoiries rappeler leur générosité et l’importance de leur lignée chaque fois que l’ornement était utilisé, c’est-à-dire ici, pour les enterrements de chanoines ou personnages illustres et les anniversaires de décès. Marqueurs de présence, les armoiries fonctionnent aussi comme substituts de la personne absente ou disparue, elles maintiennent vivante la mémoire du donateur à chaque utilisation de l’ornement, au plus près du sacré. Signe d’orgueil au premier abord, la présence des armes d’une famille sur des textiles liturgiques est aussi intrinsèquement liée à la question de la visibilité et de la dignité sous l’Ancien Régime, où il est essentiel de paraître et de tenir son rang avec éclat.

Bibliographie

  • Guy Delmarcel, N. De Poorter, P. Huvenne et al., Rubenstextiel. Rubens’s Textiles, catalogue d’exposition, Anvers, Hessenhuis, du 28 juin au 5 octobre 1997, Anvers, Stad Antwerpen, 1997
  • E. Soil de Moriamé, Inventaire des objets d’art & d’antiquité existant dans les édifices publics des communes de l’arrondissement judiciaire de Tournai, t. II. Tournai. Cathédrale-Édifices civils, Charleroi, Province de Hainaut, 1924, p. 95-96, n° 325.


Oeuvre sous la loupe de Mireille Gilbert